La phénoménologie

La phénoménologie est une discipline philosophique qui est née au 18ème siècle des travaux de Hegel, qui ont été relayées, vers la fin du 19ème siècle, par Husserl, puis au début du 20ème siècle par, entre autres, Heidegger, Binswanger, et Merleau-Ponty.

Le "phénomène", objet d’étude de la phénoménologie, est tout ce qui est vécu par un individu dans l’instant présent, ce qui apparaît spontanément à son conscient en vécu de son corps, de ses émotions ou en évocations-réflexions ; c’est tout ce qui est expérimenté par la personne, " ici et maintenant ", sans a priori et sans chercher à faire référence au passé.

Cette philosophie se concentre donc sur la chose vécue pour elle-même, en suspension de tout jugement, comme si l’événement vécu était considéré comme "entre parenthèses" des autres événements de la vie ; le sujet ne fait que se concentrer sur l’objet de sa recherche pour en découvrir le sens profond, son essence.

En ce qui concerne les deux écoles sophrologiques, il convient de ne retenir que deux mouvements phénoménologiques : la phénoménologie existentialiste de Binswanger, pour la sophrologie de Alfonso Caycédo et la phénoménologie de perception de Merleau-Ponty pour la sophrologie de Jean-Pierre Hubert. La relaxation sophro-bio-dynamique fait volontiers usage du néologisme : "bio-phénoménologie" pour bien marquer la dimension " bio-énergétique " du phénomène éprouvé.

 

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Pour Binswanger, dans sa phénoménologie existentialiste, l’homme est "phénomène" : il est cet être déterminé à cet instant précis, cet " étant " (ce " Dasein"), qui résulte autant de l’objet-évènement vécu que de la manière avec laquelle il le vit.

Ainsi, comprendre sa manière de vivre, c’est se comprendre soi-même et par là approcher la compréhension des choses universelles.

Binswanger développe aussi la notion d’ "intentionnalité" qui découle directement de sa "Dasein-analyse"; en analysant les intentions qui animent un sujet lorsqu’il vit un événement, il est possible d’approcher les raisons profondes qui ont déterminé son comportement et ainsi en confirmer ou moduler le contenu.

Elève de Binswanger, le Dr Caycedo a quelque peu modifié le concept de phénoménologie existentialiste en lui adjoignant le qualificatif de "positif" : lui aussi se refuse de considérer l’inconscient comme espace de refoulement tel que c’est l’usage en psycho-dynamique freudienne, se contentant de prendre conscience de ce qui est vécu ici et maintenant, l’"étant" ; il donne, par contre, un sens très particulier à l’intentionnalité, inversant même les propos de Binswanger, en présentant ce concept comme un mécanisme mental qui permettrait au sujet de sélectionner "intentionnellement " ce qu’il juge positif dans son vécu phénoménologique et de regrouper ces "constats positifs" dans un nouvel espace de conscience nommé "région phronique" ; cette véritable "conscience néoformée", permettrait au sujet de vivre ce qu’il appelle "une nouvelle quotidienneté", manière recomposée de se comporter sans plus aucune référence au passé douloureux !

L’existentialiste positiviste "caycedien" en conclut, donc, qu’en ne retenant que le positif de ses vécus en relaxation, il fait l’économie de l’évacuation du passé douloureux. Du fait que le patient se constitue de lui-même une "conscience optimale", il est estimé qu’aucune relation transférentielle n’entre en jeu ! Cette option litigieuse de l’intentionnalité avec son "a priori positiviste" est en opposition à tout ce qui est habituellement affirmé en matière d’introspection et de conscience ; elle n’a pas été retenue dans l’approche sophro-bio-dynamique et constitue même la pierre d’achoppement et de dissension majeure entre les 2 conceptions sophrologiques.

Pour Merleau-Ponty, dans sa phénoménologie de la perception, il convient de se concentrer sur les sensations, conséquences subjectives d’une excitation perçue ou retrouvée, et faire l’effort de les découvrir "comme si c’était la première fois qu’elles étaient vécues", sans préjugés, ni a priori ; ainsi, la manière avec laquelle l’individu perçoit ce qu’il ressent le définit dans sa subjectivité.

Comprendre sa propre perception, c’est donc se comprendre soi-même ; et comme l’homme est une "parcelle d’universalité", en apprenant à se connaître soi-même, il s’approche toujours plus de la connaissance du monde, de la connaissance absolue.

En s’appuyant sur la phénoménologie de perception de Merleau-Ponty, le Dr Jean-Pierre Hubert, fort de son expérience en bio-énergie analytique, apprise au contact du Dr Alexandre Lowen, fit évoluer le concept phénoménologique sophrologique dans la direction bio-énergétique qui considère qu’un individu vit, grâce à la respiration abdominale, un lâcher-prise où les sensations et les émotions ressenties sont des expressions physiques " cathartiques" d’expériences refoulées dans le sub-conscient (inconscient), qui lui permettent de progressivement se libérer d’anciennes angoisses et de récupérer la très grande quantité d’énergie qu’il avait dû mobiliser jusqu’alors à les contenir.

Cette conception du phénomène, que l’on nomme volontiers "bio-phénoménologie", s’inscrit dans le même esprit que la psychothérapie de relaxation d’inspiration psychanalytique du Dr de Ajuriaguerra, que la relaxation à induction variable de Sapir, que l’abréaction de Luthé ou que la psychothérapie bio-dynamique de Boyesen… ; elle considère qu’un individu en état modifié de conscience vit des sensations physiques et mentales qui sont des expressions de nature symbolique de son inconscient. Le "bio-phénomène" correspond donc à la subjectivité de l’individu vécue dans une expression corporelle sensorielle.

En résumé et de façon caricaturale, si la sophro-phénoménologie "caycedienne" se crée une nouvelle conscience en sélectionnant les vécus phénoménologiques positifs, la sophro-phénoménologie "bio-énergétique" du Dr Hubert se donne le projet de retrouver le chemin de sa conscience optimale originelle par évacuation phénoménologique des vécus existentiels douloureux et par confirmation des valeurs fondamentales retrouvées.